C’est sur cette suite d’images pour le moins étonnante que le lecteur plonge doucement dans l’univers psychotique de Bequii, alter ego de Benoit Aquin.
Antennes-relais de téléphonie cellulaire, patrouille militaire, œil qui voit tout, chambres d’hôtel et éclipse lunaire poursuivent la séquence, laissant présager la paranoïa de l’auteur fictif. Une image abstraite que l’index révélera être des racines, une sangsue et deux goélands sur un lampadaire dévoile que malgré son pessimisme, Bequii a cette capacité à s’émerveiller devant ce que la nature a de beau et de laid à offrir.
Détails
La dimension éthérique du réseau par Anton Bequii
Auteur
Benoit Aquin
Éditeur
Éditions Photosynthèses
Format
8 × 11 po
Nombre de pages
224
Notes de production
Couverture rigide, sérigraphie sur toile, estampage à chaud
Imprimeur
EBS – Editoriale Bortolazzi Stei S.R.L.
Vérone, Italie
Identifiant
ISBN 979-10-95822-08-0
Copyright
Texte et photographie : © Benoit Aquin
Présente édition : © Éditions Photosynthèses/Libella, Paris 2019
Si dans ces premières pages, les photographies d’Aquin côtoient des images glanées en ligne, c’est avec la reproduction annotée d’une double page de Propagandes de Jacques Ellul, penseur de la technique et de l’aliénation, que survient une première rupture. La lecture des passages soulignés de l’ouvrage publié en 1962 est d’une actualité déconcertante et laisse deviner au lecteur l’intérêt de Bequii pour les théories du complot face à un certain totalitarisme technologique.
En cours de conception, une question fut posée à Benoit : est-il possible de se procurer les premières éditions de Propagandes et de La technique ou l’enjeu du siècle ? Aquin prit aussitôt cette question comme une bravade et quelques jours plus tard, les copies étaient livrées à sa porte, non sans laisser de traces sur la toile.
À peine quatre pages plus loin, une capture vidéo aux couleurs sursaturées, rappelant celles des images captées par caméra thermique, devient abstraite suite aux multiples manipulations numériques que lui a fait subir l’alter ego d’Aquin. L’image a pourtant fait le tour du monde à maintes reprises. L’index nous apprend qu’il s’agit de l’impact de l’avion du vol 175 d’United Airlines, sur la Tour 2 du World Trade Center. Ces images hautement esthétisées qui représentent une série d’événements dramatiques (de la guerre en Irak au tsunami de Fukushima en passant par les émeutes de Baltimore et des miliciens de l’État islamique) sont consciemment regroupées au centre du livre en une longue séquence. Quelques-unes d’entre elles semblent s’être échappées du groupe et contaminent, de façon poreuse, les autres pages du livre.
Fait étonnant : Bequii ne réclame pas l’entière paternité de ces images. « Même si l’élaboration de ces images demeure spontanée et soumise au contrôle d’une technique dont j’active les commandes, il n’en reste pas moins qu’elle ne se borne pas à mon ressenti. » Il accepte donc qu’une part de leur paternité revienne aux algorithmes qu’il redoute tant.
Arrive enfin cette correspondance à sens unique, dans laquelle Anton se livre à la nébuleuse Elena. Il aborde avec elle sa propre maladresse sociale, son engagement radical, sa servitude face à la technologie, ses inquiétudes devant l’omniprésence des caméras de surveillance, la théorie selon laquelle YouTube serait le plus grand agent de radicalisation du XXIe siècle, le lien qu’il fait entre le monde polarisé dans lequel nous vivons et le langage binaire dont sont constitués les algorithmes, la quatrième dimension, sa quête spirituelle, et enfin l’amour qu’il lui porte.
Cet ouvrage bouleverse les codes du livre photo dans la façon dont les images et l’ensemble des couches discursives s’entremêlent. Le design d’un livre se manifeste souvent dans ces zones où l’implication du designer est insoupçonnée. Si la mise en page de La dimension éthérique du réseau par Anton Bequii est somme toute assez sobre, c’est sa structure éditoriale qui a contribué à donner un sens au désordre et à rendre avec justesse les nombreux niveaux d’enchevêtrements de l’histoire touchante et complexe que Benoit Aquin a mis six ans à tisser.
CRÉDITS
Agence
Design éditorial
Raphaël Daudelin
Conception graphique
Raphaël Daudelin
Client
conception
Benoît Aquin
Directeur éditorial
Marco Zappone
Assistante d’édition
Christelle Fontaine
Suivi de fabrication
Géraldine Boilley-Hautbois
Photogravure
EBS
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